La bosse de Djoha - la korkova de Djohá

Jacob (Djáko) Ganon est né en 1950 à Tunis dans une famille originaire d’Izmir. En novembre 2014, à Paris, il nous a transmis un conte que sa grand-mère Mazalto Benghiat (1880 - 1974), originaire de Pergame, lui racontait dans son enfance.

La bosse de Djoha - la korkova de Djohá
Le hammam de Brousse (Yeni kaplidya). Sebah & Joaillier. Après 1883. Collection Pierre de Gigord. Getty Research Institute.

La korkova de Djohá
version originale en judéo-espagnol

En un kazaliko, avia de ser un ombre un poko desmazalado ke lo yamavan Djohá. Este Djohá tenía kodja korkóva/kambúra en la espalda. Iva siempre kaminando korkovado en la kay i esta kambúra le tuya muncho. Syempre iva Djohá rogando a los Cielos i diziendo ke me se vayga un poko la dolor de esta kambúra. Un dia ke le estava aziendo muncho mal, se dishó de si para si : me vo a ir al banyo turko i kon la kalor puede ser ke se va ablandar la korkova i puede ser ke se va ir un poko la dolor. 

I ansína fue.

Se abashó al banyo turko, se asentó i estava asperando. En un hamam ay muncho duman. En supito, Djohá vidó salir del duman, kodjá ombres, altos, grandes, kon la piel preta, kon munchos ariva i munchos abasho, i ke se metieron a baylar, tomando los unos i los otros por las manos i diziendo en turko : « Oy es perşembe[1]! Oy es perşembe ! ».

Djohá s'espantó muncho. Vinó el ke paresia ser el grande de estos ombres. Saliendo del duman, lo aferó a Djohá por el braso i la mano, lo travó para ke vayga a baylar kon eyos. I Djohá se metió a baylar kon eyos. Sintiendolos kantar : « Oy es perşembe! Oy es perşembe ! » se disho de si para si : « Yo m'espanto muncho de estos, no les vo a kontrear afilu akel dia no es perşembe, es çarşamba[2]. »

Kuando s'eskapó el bayle, estos ombres, ke estaron mijores de mozotros, se aserkaron de Djohá ke tenia siempre la kambúra i le disheron :

« Ijo de ombre, tu mos alegrates muncho oy porke vinites a baylar kon mozotros i no mos kontreates. Agora keremos azerte un regalo. Kualo keres ke te agamos de regalo? Keresh una kasha yena de oro, de luigis, de diamantes i de perlas ? Keresh un palasio de marfil ? »

El dishó : « No efendi, aman ke no me desh todo esto ke yo no kero ni rikezas, ni grandezas. Lo ke kero solo es ke me se vayga esta kambúra porké no la puedo mas suportar en la espalda. »

Vinó el ombre kodjá-bóy i le dishó en turko : « baş uştune[3]! » Este mijor de mozotros ke tenía kodjá manos le arankó la kambúra i la apegó al taván. Ensupito del duman no se via mas estos ombres.

Se kedó ansína un poko Djohá i se fue a mirarse al espejo i, vidó ke el, ke era siempre enkorkovado, salió derecho. Se vistió, salió a la kay i los del kazal ke lo veiyan se estavan diziendo unos a los otros : este no es Djohá ke lo konosiamos kon la kambúra. Komo ven a ser esto ke se izo agora flakito, altiko, manseviko, ermoziko ? I el no diziya nada i estava yendose a kaza.

En el kamino enkontró un otro djidyo, ma este djidyo era muy eskáso. No le agradava dar tsedaka. Kuando veniya un djidyo ahavar a la puerta para demandarle : emprestame un poko de paras porke son las fyestas, Pessa'h, Rosh Hashanah, el le arondjava, le serava la puerta i le dizia : « Vate d'aki ke yo tengo nada para darte a ti. »

Djohá le enkontró a este ombre ke era muy eskáso i negro. Akel ombre le dishó:

« Komo se ven a ser ke tu te izites agóra manseviko, flakito, altiko, ermozo, ke te endereshates ? Ainda antes tu eras enkorkovado. »

I Djohá lo kontó todo lo ke le akontesió.

El otro kurnás[4] se dize de si para si : « Me iré yo tambyen al banyo i kuando van a vinir estos mijores de mosotros para demandarme : - Kualo keres ke te demos de regalo ? Les vo a dizir ke me desh kashas de oro, de perlas i de diamantes i ansína me aré mas riko de lo ke so. »

I ansína fue. El se fue tambyen al banyo. Se abashó. 'Sta asperando en el duman ke salgan estos ombres. Ensupito salieron ! Kodjá ombres, pretos, kon kodjá manos, kodjá espaldas i se mitieron a baylar i kantar en turko: « Oy es perşembe! Oy es perşembe ! ».

Ma akel dia no era perşembe, era çarşamba. El eskáso, lo aferaron, komo lo avian aferado a Djohá. Lo travaron kon eyos para ke bayle. Se metió a baylar i el sintiendo : « Oy es perşembe ! » se dishó : « ama oy no es perşembe ! Es çarşamba ! »

I los kontreó. Oh ! dishó el, Vos estash yerrando ! Oy es çarşamba ! Los otros estavan gritando : « Oy es perşembe ! » i el gritava « No! Oy es çarşamba ! »

Kuando s'eskapo el bayle, s'aserkaron estos ombres muy araviados i le disheron :

« Benadam, ken sos tu para kontrearmos a mozotros i dar mos un kas. »

El los dishó : « Vos estash yerrando, oy no es perşembe ! Es çarşamba ! »

Ansína dishó uno de los d'en basho : « tu kijites kontrearmos a mozotros, ama tu saves ken semos mozotros ? Mozotros non semos de este mundo, semos del otro mundo. Agóra tenemos ke kastigarte porke mos kontreates. »

Lo aferaron. Vinó el ke paresía ser el bash de eyos. Tomó la korkova de Djohá ke estava apegada al taván, la arankó i se la apegó a la espalda del ombre eskáso. Ansína fue ke este ombre ke no era un ombre bueno, ke no le agardava dar tsedaka, se tomó la kambúra de Djohá.

Ke eyos tengan byen i mozotros tambyen.

[1] Perşembe : jeudi en turc.

[2] Çarşamba : mercredi en turc

[3] Litt. en turc : sur la tête. Avec plaisir au sens figuré.

[4] Kurnás : malin, rusé.

La bosse de Djoha
traduction française

Dans un petit village vivait un homme un peu malchanceux que l'on appelait Djohá. Djohá avait une très grande bosse au dos. Il allait toujours bossu dans la rue et cette bosse le faisait beaucoup souffrir. Djohá suppliait toujours le Ciel qu'Il veuille bien alléger la douleur de cette bosse. Un jour où elle le faisait beaucoup souffrir, il se dit à lui-même : « Je vais me rendre aux bains et avec la chaleur, la bosse va peut-être se ramollir et la douleur s'atténuer. »

Et il fit ainsi qu'il l'avait dit.

Il descendit aux bains turcs, s'assit et attendit. Dans un hammam, il y a beaucoup de vapeur. Tout d'un coup, Djohá vit sortir de la vapeur, des personnages gigantesques à la peau noire qui se mirent à danser, se prenant les uns les autres par la main en s'exclamant en turc :

« Aujourd'hui c'est jeudi ! Aujourd'hui c'est jeudi ! »

Djohá eut très peur. Celui qui paraissait être le chef de toutes ces créatures vint alors. Il sortit de la vapeur, il saisit Djohá par le bras et la main et l'entraîna pour qu'il danse avec eux. En entendant chanter : « Aujourd'hui c'est jeudi ! Aujourd'hui c'est jeudi ! » Il se dit : « Ces gens me font très peur, je ne vais pas les contredire même si aujourd'hui ce n'est pas jeudi mais mercredi. »

Quand la danse s'acheva, ces gens, qui étaient des esprits de l'autre monde, s'approchèrent de Djohá qui portait toujours la bosse et lui dirent :

« Fils de l’homme, tu nous as fait très plaisir en venant danser avec nous sans nous contredire. Nous voulons maintenant t'offrir un cadeau. Que voudrais-tu comme cadeau ? Voudrais-tu un coffret plein de louis d'or, de diamants et de perles ? Voudrais-tu un palais d'ivoire ? »

Il répondit : « Non monsieur, de grâce ne me donnez pas tout cela car je ne désire ni grandeur, ni richesse. Je veux seulement que s'en aille cette bosse car je ne peux plus la supporter. »

Le géant s'approcha et dit en turc : « Avec plaisir ! »

Et cet être qui possédait des mains énormes lui arracha la bosse et la colla au plafond. Aussitôt ces gens disparurent à travers la vapeur.

Djohá resta un peu sur place et alla se regarder dans le miroir. Il vit que lui qui était toujours bossu, s'était redressé. Il s'habilla, sortit dans la rue et ceux du village qui le virent se dirent l'un à l'autre : « Celui-là n'est pas le Djohá que nous connaissions bossu. Comment se fait-il qu'il soit maintenant devenu svelte, élancé, jeune et beau ? » Lui ne dit rien et s'en retourna chez lui. En chemin, il rencontra un membre de la communauté, un autre Juif, mais cet autre Juif était très avare. Il n'aimait pas faire la Tsédaka. Quand un Juif venait frapper à la porte pour lui demander : « Prête-moi un peu d'argent car ce sont les fêtes, Pessa'h, Rosh Hashanah », il le chassait, lui fermait la porte et lui disait : « Va-t-en ! Je n'ai rien à te donner ! »

Djohá rencontra cet homme qui était très avare et mauvais. Cet homme lui dit : « Comment se fait-il que tu sois devenu tout jeune, svelte, élancé et beau, que tu te sois redressé ? Il y a encore peu tu étais bossu. » Et Djohá lui raconta tout ce qui lui était arrivé.

L'autre malin se dit : « J'irai moi aussi aux bains et quand viendront ces créatures pour me demander : - Qu'est-ce que tu veux que l'on te fasse comme cadeau ? Je leur dirai qu'ils me donnent des coffrets d'or, de perles et de diamants et ainsi je serai plus riche que je ne le suis. »

Et il en fut ainsi. Il se rendit également aux bains, descendit et attendit dans la vapeur qu'apparaissent ces êtres. Tout d'un coup ils apparurent ! Des créatures gigantesques avec des mains géantes, des dos immenses et ils se mirent à danser et chanter en turc :

« Aujourd'hui c'est jeudi ! Aujourd'hui c'est jeudi ! »

Mais ce jour-là on était mercredi et non jeudi. Ils attrapèrent l'avare comme ils avaient attrapé Djohá. Ils l'entraînèrent avec eux pour qu'il danse. Il se mit à danser à danser et en entendant : « Aujourd'hui c'est jeudi ! »

Il se dit : mais aujourd'hui ce n'est pas jeudi ! C'est mercredi ! et il les contredit.

« Oh ! dit-il, Vous vous trompez ! Aujourd'hui c'est mercredi ! »

Les autres dansaient en criant : « Aujourd'hui c'est jeudi ! » et lui criait : « Non ! Aujourd'hui c'est mercredi ! »

Quand s'acheva la danse, ces êtres s'approchèrent très en colère et lui dirent : « Fils de l'homme, qui es-tu pour nous contredire et nous mettre en colère ? »

Il leur répondit : « Vous vous trompez, aujourd'hui ce n'est pas jeudi ! C'est mercredi ! »

L'une de ces créatures lui répondit ainsi : « Tu veux nous contredire, mais sais-tu bien qui nous sommes ? Nous ne sommes pas de ce monde, nous sommes de l'autre monde. Nous devons maintenant te châtier pour nous avoir contredit. »

Ils l'attrapèrent. Celui qui paraissait être leur chef apparut. Il prit la bosse de Djohá qui était collée au plafond, il l'arracha et la colla au dos de l'avare. Ainsi cet homme qui n'était pas un homme de bien, qui n'aimait pas faire la tsedaka, hérita de la bosse de Djohá.

Qu’ils soient heureux et nous comme eux !